Laisser une trace

pour exister ou s’approprier ?… (ndlc)

« J’ai le sentiment que l’empressement des enfants à souiller un beau carré de neige blanche dans un jardin matinal, à massacrer une dune lisse est un lointain écho de ces temps où il était commun de fouler pour la première fois un arpent de la Terre.

Qui peut s’offrir ce luxe, au siècle 21, d’effleurer un endroit intouché ? Qui éprouvera ce tressaillement, ce saisissement glorieux d’imprimer son passage sur une surface préservée ?

Il me fut donné une fois dans ma vie d’éprouver ce sentiment préhistorique. C’était au Yémen, sur l’île de Socotra, face à la corne de l’Afrique…. Nous ouvrions une voie sur une falaise vierge. Nous grimpons jour et nuit et soudain, nous gagnâmes à mi-paroi une terrasse plane suspendue au-dessus de la mer… Nous fîmes halte sur le replat, environnés de vide. L’endroit était recouvert d’une nappe de sable blanc, pur, c’était une nacelle de roche flottant dans l’inaccessible. Personne n’avait pu grimper ni descendre ici avant nous.

Sur ce sable que rien d’humain n’avait effleuré, je fis le geste rituel et déposai l’empreinte de ma main. Puis je me dis que Narcisse après s’être regardé dans un reflet avait peut-être appliqué sa paume dans le sable.

J’effaçai tout et nous repartîmes vers le sommet ».

Sylvain Tesson – Philosophie magazine

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