Spinoza nous disait que l’image que Pierre se fait de Paul nous en dit bien plus sur Pierre que sur Paul. Il est vrai que toute apparition à l’autre est avant tout une comparution. Voilà certainement pourquoi notre corps est devenu le cœur de nos préoccupations. « Mon corps me raconte, me désigne », il « m’engage et me compromet ». Nous avons autant besoin du regard de l’autre que nous le craignons.
Tout simplement parce que la plus grande des introspections ne saurait nous révéler notre identité complète sans notre image. Nous sommes obsédés par notre reflet dans le miroir car il nous montre, dans une certaine mesure, ce que les autres voient de nous et donc une partie considérable de ce que nous sommes. Jacques Lacan établit dans une de ses conférences « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je », qu’il serait impossible de dire Moi sans être d’abord reconnu dans le miroir. Un récapitulatif de tout ce qui est moi. Je prends conscience de moi.
Mais la conscience de soi n’en est pas la connaissance.
Faudrait-il aller au-delà des apparences pour se connaître et connaître l’autre ? Cela impliquerait qu’un accès sans filtre à notre intériorité donnerait un visage déterminé de nous-mêmes. Pourtant, nos profondeurs sont sans cesse en mouvement, désordonnées et brumeuses, sombres, faites de facettes tour à tour exposées au grand jour et dissimulées dans la nuit.
Diderot pensait que l’homme est un être « aussi fondamentalement ondoyant, et divers, aussi insaisissable que l’eau. Chaque homme a cent visages, il n’y a point un véritable visage, et des masques par-dessus, il n’y a que des masques, plus ou moins éclairants, plus ou moins francs, et c’est l’ensemble des masques qui constitue la véritable personnalité. »
Lilas Natof – Esprit Philosophie, extraits