L’expression « faire son deuil » connaît un succès croissant depuis quelques années. Elle s’est banalisée dans tous les domaines. C’est une trouvaille de la langue qui, en quelque sorte, reflète le génie de l’inconscient.
Car « faire son deuil » est un paradoxe absolu.
Le deuil est, par excellence, un moment d’impuissance : un événement réel nous percute et nous n’y pouvons rien. Or le verbe « faire » sous-entendrait qu’on pourrait y opposer un acte, une volonté, quelque chose… Malgré nous, nous avons toujours besoin de croire que nous pouvons agir devant un événement. Aussi révélatrice soit-elle, cette expression me paraît inappropriée.
Car il semble que dans le deuil, tout le travail consiste plutôt à aller dans le sens de l’impuissance, de l’acceptation de la perte. Il s’agirait plutôt de « défaire son deuil ». Tout le travail du deuil va consister en un mécanisme de sevrage. Il va falloir se sevrer peu à peu de la présence qu’a déposée en nous l’autre, laquelle s’incarne sous la forme de souvenirs, de lieux, de mille détails etc. Et peu à peu, le temps va faire son œuvre.
Autrefois, […] le deuil durait quarante jours, c’était un temps qui échappait au social, au travail. Mais aujourd’hui, notre société doit tourner 24/24.
Le temps du deuil est un temps subversif.
Anne Dufourmantelle, psychanalyste, philosophe et enseignante – Philosophie Magazine, extraits.